Le tombeau de Philippe le Hardi
Musée
des Beaux-Arts de Dijon
Philippe le Hardi
La Chartreuse de Champmol
Le Puits de Moïse
Le retable de la Crucifixion
Philippe le Hardi - le tombeau
Dès 1381, Jean de Marville, imagier du duc, qui avait travaillé à Rouen sous la direction de Jean de Liège au tombeau du coeur de Charles V, est chargé de l'exécution du tombeau de Philippe le Hardi.
C'est lui qui en conçoit l'ordonnance :

- entre le soubassement et la dalle, en marbre noir de Dinant, destinée à recevoir la statue gisante du duc, ainsi que les anges porteurs de son bacinet et le lion à ses pieds,
- les quatre faces du mausolée sont entourées d'architecture d'albâtre (composées de travées rectangulaires alternant avec des logettes triangulaires, voûtées d'ogives et surmontées de dais et de consoles destinées à recevoir des angelots aux ailes de cuivre).
Claus Sluter, que Philippe le Hardi fait venir à Dijon en 1385 avec d'autres tailleurs de pierre du Brabant pour constituer l'équipe de Champmol, prend en 1389 la succession de Marville comme imagier du duc. Le découpage, la mouluration, le polissage et l'ornementation des architectures d'albâtres se poursuivent sous sa direction.
Mais, absorbé par d'autres tâches -soit pour la Chartreuse de Champmol (l'oratoire ducal, le portail de l'église ou le Calvaire du grand cloître), soit pour la Chapelle ducale, soit pour les châteaux du duc et de la duchesse Marguerite de Flandre-, Sluter laisse le tombeau en chantier. Aussi, lorsque Philippe le Hardi meurt à Halle le 27 avril 1404, la partie sculpturale reste-t-elle entièrement à faire.
Le 14 juillet 1404, le duc Jean (sans Peur) charge Sluter d'exécuter les sculptures en quatre ans. A cette date, deux seulement des "plorants" ont été réalisés. Or le cadre architectural, élaboré sous la direction de Marville, a ménagé la place pour quarante personnages ! Sluter est déjà malade au moment de la mort du duc et à demi retiré depuis le 7 avril 1404 à l'abbaye Saint-Etienne, proche de son ouvroir. Jusqu'aux derniers jours de janvier 1406, où il doit mourir, il lui est impossible d'assumer l'exécution d'un grand nombre de pleurants, alors qu'il lui reste encore à sculpter trois des prophètes pour le Puits des Prophètes.
C'est à Claus de Werve, neveu de Sluter, que revient l'exécution de la plupart des pleurants.

Le tombeau du duc Philippe le Hardi est achevé à la fin de 1410 et placé dans le choeur des pères de l'église de la Chartreuse de Champmol, au-dessus du caveau construit en 1404 pour recevoir le sarcophage en plomb où repose le corps.
Une tradition déjà ancienne :
En évoquant autour du tombeau le cortège funèbre qui en dix-sept étapes accompagne la dépouille de Philippe, revêtue de la robe d'un chartreux, depuis Halle près de Bruxelles jusqu'à Dijon, Sluter ne fait que se conformer à la tradition qui, depuis le XIIIème siècle, représente la cérémonie des funérailles ou celle de l'absoute en présence de la famille du défunt sur les côtés du tombeau ou les murs de l'enfeu.
Une prouesse artistique et technique :
Comme au portail de l'église de la Chartreuse, Claus Sluter est contraint d'adapter ses sculptures à un cadre architectural (arcades, logettes et travées de Marville) dont il n'est pas l'auteur. Comparer cette suite d'arcades à des galeries de cloître, où pourraient librement se mouvoir les pleurants, donne une idée fausse du problème qui se pose à Sluter. Il suffit que ces statuettes soient déplacées de quelques centimètres pour qu'elles se heurtent aux piliers ou aux chapiteaux. En effet, l'architecture n'est pas à l'échelle de l'homme. Elle limite l'espace. Sluter doit donc se plier à leurs exigences et adopter pour ses personnages une égale dimension. Un certain lui est également imposé par l'alternance des travées doubles et les niches triangulaires. Il doit aussi s'accommoder des piliers qui masquent à demi une douzaine de pleurants. Aussi n'est-il pas tout à fait exact de dire qu'avec Sluter, la sculpture est sortie du cadre architectural pour prendre son indépendance.
Un développement iconographique nouveau : Jamais le thème des pleurants, où le plus souvent les personnages répètent les mêmes gestes, n'a connu un tel développement iconographique, ni une telle diversité d'expression, de la plus silencieuse à la plus pathétique, pour traduire les sentiments de deuil.
Tournés l'un vers l'autre pour échanger quelques paroles sur le défunt ou esquisser un geste de consolation, ou bien repliés sur eux-mêmes dans le recueillement, la méditation ou l'exaltation de la prière, chacun des personnages manifeste sa propre douleur avec une étonnante variété d'attitudes.
Plus encore que par l'expression du visage, qui se trouve souvent complètement masqué sous le chaperon rabattu, c'est par le drapé que se traduit le deuil, par le jeu des plis en gros bourrelets et des replis profonds d'une étoffe épaisse. Ces effets de volume donnent une carrure nouvelle aux personnages.
Le cortège ou les quarante pleurants :
La présence du clergé en avant des deuillants indique quel est le sens du cortège.

En tête se présente l'aspergeant, porteur du seau d'eau bénite et du goupillon. Il ouvre la marche.
Viennent les deux petits enfants de choeur (aujourd'hui disparus).
Le porte-croix.
Le diacre.
L'évêque.
Trois chantres.
Deux chartreux : reconnaissables à leur scapulaire.
Viennent les membres de la famille du duc, revêtus d'un ample manteau de deuil ou d'une robe fourrée à larges manches, coiffés du chaperon à cornette qui leur couvre les épaules.
Les officiers du duc.
Les gens de la maison du duc.
Quelle est la part respective de Claus Sluter et de son neveu Claus de Werve ? Claus de Werve est le collaborateur de son oncle depuis 1396. Il lui succède comme imagier du duc Jean sans Peur. Il paraît évident que Sluter est à l'origine de la conception d'ensemble des pleurants ; d'où cette unité plastique du cortège et cette intensité d'expression.
Sluter meurt en 1406 et c'est à Claus de Werve que revient l'exécution de la plupart des pleurants, auxquels l'albâtre de Vizille en Dauphiné, légèrement veiné, donne, une fois poli, un ton d'ivoire finement nuancé. Bien que son propre tempérament ne le porte pas à une égale puissance d'expression, de Werve a si bien assimilé la manière de Sluter, en travaillant dans son atelier depuis plus de neuf ans, qu'il peut en traduire fidèlement la pensée. On est cependant tenté d'attribuer à Claus Sluter lui-même l'évêque, le chartreux en méditation et la dernière statuette du cortège, tandis que certaines autres, d'une moins parfaite exécution, peuvent sans doute être mises au compte de compagnons d'ateliers. Les quelques rehauts d'or sur les parements des vêtements liturgiques et les fermails, les quelques notes de couleur sur les cuirs et les dizains sont dus à Jean Malouel, peintre en titre du duc.
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