Le duc René II de Lorraine devant l'armure de Charles le Téméraire

Fatale impuissance ; le roi ne perd pas son temps; Louis XI, qui s'est proclamé le protecteur du jeune duc de Savoie, réussit à faire évader sa soeur. Il finance la reconquête de la Lorraine par son légitime seigneur. Le 7 octobre 1477, le sire de Rubempré, à bout de résistance, lui rend les clefs de Nancy. J'aurais fort souhaité que Monseigneur de Bourgogne n'eut jamais commencé cette guerre mais je crains maintenant que lui et moi nous y laissions notre vie, dit-il tristement.

Le siège de Nancy
La nouvelle de la prise de Nancy réveille le duc Charles. Il réunit dix à douze mille hommes, engage presque le combat à Pont-à-Mousson avec le duc René qui n'ose l'affronter avec sa petite armée.

Charles le Téméraire arrive le 22 octobre 1476 devant Nancy, sur les talons de son adversaire. Alors débute pour les Nancéens un long siège de deux mois, par un hiver boréal. René prend le bon parti de quitter subrepticement sa capitale pour aller chercher les Suisses, ultimes secours des assiégés. Les Nancéens lui promettent de tenir aussi longtemps qu'ils le pourront.

Le duc Charles refuse d'écouter les conseils avisés de ses fidèles. Il accorde toute sa confiance au Napolitain Campobasso, un traître vendu au roi de France et au duc de Lorraine. Écoeuré, le prince d'Orange abandonne le duc qui déclare que s'il faut combattre seul, il le fera. Il semble que son bon sens ait été obscurci ; il repousse avec indignation la médiation honorable de son cousin germain, le roi du Portugal. La petite armée du duc de Bourgogne a alors perdu le tiers de ses effectifs ; l'assaut du 26 décembre, repoussé par les Nancéens, a été très coûteux en hommes. Le froid tient plus sûrement encore que la guerre; dans la nuit de Noël, quatre cents Bourguignons périssent de froid ! Le ler janvier, le comte de Campobasso quitte le camp du duc Charles avec l'élite de sa "condotta" sous prétexte d'aller au devant des renforts venant de Flandre. Le duc de Lorraine lui a promis la seigneurie de Commercy s'il abandonne son maître. Par la route de Lunéville, René Il arrive avec dix-huit à vingt mille Suisses, Alsaciens, Allemands et Lorrains. Le 4 janvier au matin, le duc de Bourgogne apprrend l'arrivée de l'armée ennemie. Négligeant de se retirer derrière le rempart naturel que forme la Moselle, il déclare à ses capitaines atterrés qu'iI assaillira Nancy le soir même et que le lendemain il dispersera les Suisses.

René Il a fait allumer un fanal sur le clocher de Saint-Nicolas; ainsi, il signale son arrivée à ses Nancéens qui repoussent les Bourguignons jusque dans leur camp.

L'ultime bataille se déroule le dimanche 5 janvier, par un froid terrible. Le duc de Bourgogne n'en a cure ; comme aux plus beaux jours de sa gloire, il enfourche son magnifique cheval "Moreau"; toutefois, pendant que son page lui tend son casque, le cimier s'en détache et tombe ; le duc s'assombrit : Hoc est signum Dei (C'est un présage de Dieu) dit-il tristement, mais avec courage il se lance dans la mêlée. Le ciel se lève quelque peu, la brume se dissipe ; l'artillerie bourguignonne fait de terribles ravages dans les rangs des Strasbourgeois de Guillaume Herter. Ce dernier, avec le gros de son corps de bataille fait un mouvement sur sa gauche pour attaquer le condottière Galeotto -un fidèle, celui-là - René Il veut appuyer ce mouvement, mais il se fait rudement ramené en arrière par les gens d'armes bourguignons.

Le sort de la bataille est indécis lorsque les Bourguignons entendent avec terreur, perçant la brume qui retombe, le son de la "vache d'Uri" et du "taureau d'Unterwalden". Le gros des Suisses vient au secours des neuf mille hommes de Guillaume Herter et fond sur les Bourguignons. Leur droite étant en péril, le duc leur envoie ses archers anglais. Il est partout, encourageant les uns, frappant sauvagement les fuyards. Mais Galeotto est tué, l'aile gauche est forcée; autour du duc Charles désespéré tombent les meilleurs hommes d'armes, Rubempré, Contai. Et c'est la déroute, comme à Grandson, à Morat, la fuite éperdue des gens de Bourgogne que leurs poursuivants massacrent comme à la battue; cette chasse à l'homme dure jusqu'à minuit.

Le duc Charles est-il mort ?
L'incertitude règne dans Nancy libéré ; est-il parvenu à passer à travers les mailles du filet ? Les principaux seigneurs captifs, le grand Bâtard de Bourgogne, le comte de Romont, ne peuvent dissiper cette incertitude. René II est anxieux- si le Téméraire s'est enfui, tout est à recommencer. Pendant deux jours, des patrouilles auxquelles se sont joints des serviteurs familiers du vaincu parcourentt la campagne enneigée. A côté de l'étang Saint-Jean, pris par les glaces, on retrouve plusieurs cadavres que les loups ont à demi dévorés, leurs visages sont méconnaissables.

Toutefois, une pauvre lingère et un page italien croient reconnaître dans l'un d'eux leur maître, le second "grand duc d'Occident", à l'anneau magnifique qu'il porte au doigt. On ramène à Nancy le cadavre de Monseigneur Charles; ses principaux serviteurs confirment ce qui a été dit.

René Il de Lorraine fait placer la dépouille mortelle de son ennemi sur un lit tendu de satin noir ; sincèrement ému devant cette chute effroyable, il lui baise la main et déplore publiquement que les hasards de la guerre et de la politique aient fait d'eux des ennemis acharnés. Charles le Téméraire reçoit une riche sépulture à la chapelle Saint-Nicolas, où reposent les ducs de Lorraine. Ce n'est qu'en 1550 que son arrière petit-fils, Charles Quint, fait transporter à Bruges les restes mortels de celui qui n'a pu être le "nouvel Alexandre" de son temps.

Par une maladresse insigne, Louis XI, qui comptait marier son fils, le dauphin, à la jeune Marie de Bourgogne, s'attire la haine de la jeune princesse qui accorde sa main à l'archiduc Maximilien, son éternel fiancé. Elle lui apporte en dot la Flandre, l'Artois et le comté de Bourgogne. Si le roi Louis a pu s'assurer, avant sa mort, de la possession du duché de Bourgogne et de la Picardie, les trois premières provinces (malgré l'union manquée du dauphin et de la princesse Marguerite, fille de Marie de Bourgogne et de Maximilien de Habsbourg), ne deviendront françaises que sous Louis XIV et le demeureront.

Mais, entre-temps, il y aura Charles Quint, l'héritier du rêve lotharingien.

Les ducs de Bourgogne