Charles perçoit bien que ses opérations vers le royaume de France se soldent toujours par des échecs. Il tourne alors définitivement ses visées vers l'Allemagne, ce vieil Empire Germanique que son morcellement rend fragile.

Le traité de Picquigny
29 août 1475

Charles le Téméraire, cependant, conçoit une grande espérance ; poussé par le connétable de Saint-Pol, Edouard IV d'Angleterre débarque à Calais avec une immense armée le 4 juillet 1475. Son but avoué est de recommencer la "Guerre de Cent ans", tout en remplissant les clauses de son traité d'alliance avec le duc de Bourgogne. Le coeur plein d'angoisse, Louis XI se rend à Compiègne, au milieu de son armée. C'est alors que se déroule l'une des opérations politiques les mieux menées de l'Histoire.

Charles s'impose en Lorraine
Il domine déjà - temporairement il est vrai - le landgraviat d'Alsace. En 1473, profitant des démêlés familiaux du vieux duc de Gueldre, il met la main sur son duché. Le roi René perd son fils unique la même année. Charles veut circonvenir le vieux souverain pour qu'il le fasse son héritier. Mais, en même temps, il commence à contester son duché à René II de Lorraine, ce petit-fils de René d'Anjou qui vient de ceindre la couronne ducale. L'acquisition par la force ou la ruse de l'Alsace et de la Lorraine peut opérer ce miracle tant inespéré : la réunion territoriale des Etats de la Maison de Bourgogne. Le Téméraire impose son protectorat à René Il. Nul moyen plus sûr pour le duc de Bourgogne d'assurer son dessein germanique que de se faire élire Roi des Romains, vicaire impérial pour ses fiefs d'au-delà du Rhin. C'est un pas décisif vers la formation de ce royaume de Gaule-Belgique dont il rêve.

Charles recommence donc à faire le siège du vieil empereur ; ses ambassadeurs pressent Maximilien, qui a maintenant dix-huit ans, d'accepter enfin la main de Marie de Bourgogne. Ne serait-il pas son héritier? Le duc de Bourgogne est décidément l'obstination faite homme. En septembre 1473, l'empereur et le duc Charles se rencontrent à Trèves mais, en cette occasion, le Téméraire fait montre d'un tel faste que Frédéric III, dont le train est fort pauvre, s'en montre froissé. Les Bourguignons se moquent des seigneurs allemands qui essuient leurs bottes avec les couvertures de leur lit ; cela n'arrange pas les choses... Peu perspicace, le duc de Bourgogne fait néanmoins préparer à Trèves son couronnement de roi de Gaule-Belgique, mais l'empereur, vexé, quitte furtivement la ville et s'en va à Cologne. C'est pour le duc Charles un affront épouvantable mais il ne renonce pas à ses visées germaniques. Après avoir signé un traité d'alliance avec le jeune duc de Lorraine, il gagne Dijon par l'Alsace, où des soulèvements éclatent fréquemment contre Pierre de Hagenbach, le "landvogt " (gouverneur) qu'il leur a imposé depuis trois ans, un homme hautain et cruel : Nous écorcherons l'ours, dit-il avec dédain des gens de Berne. Pendant ce temps, Louis XI fait travailler les Suisses par ses émissaires secrets et pousse à la révolte ouverte contre le "landvogt " les Alsaciens exaspérés. Arrêté par ses administrés, Hagenbach est jugé et exécuté en mai 1474. Charles le Téméraire jure de venger son fidèle, mais n'exerce contre les Alsaciens que des représailles modérées, tant il est absorbé par un nouveau projet.

Edouard IV, un jouisseur sans scrupules, est bien déçu lorsqu'il voit le duc de Bourgogne arriver à son camp avec sa seule escorte ; épuisée, l'armée bourguignonne est incapable de combattre. Aussi le roi d'Angleterre, circonvenu par Louis IX qui a corrompu tous ses favoris, signe-t-il, le 29 août 1475, le traité de Picquigny. Outre la conclusion d'une trêve de sept ans renouvelable, cet accord stipule que le roi d'Angleterre recevra une somme formidable en guise de dédommagement et une rente annuelle plus que substantielle. Edouard IV s'est laissé éblouir par cette pluie d'or; ce n'est pas Henry V qui se serait laissé ainsi acheter ! Louis XI offre un immense banquet à l'armée anglaise. Je les ai chassés avec du vin et du pâté, ricane-t-il. Il a épargné à son royaume une nouvelle Guerre de Cent ans.

Le duc Charles fait son entrée dans Nancy
Le Téméraire connaît cependant un retour de fortune ; après avoir chassé le duc René Il de Luxembourg, il signe à Soleure le 13 septembre une trêve de neuf ans avec Louis XI ; la Haute-Alsace doit lui revenir et le droit de passage en Lorraine lui est assuré. Deux semaines après, Charles envahit la Lorraine, investit Nancy et contraint René Il à une prompte retraite. Le roi Edouard est en paix avec Louis XI ; le duc Charles se réconcilie avec l'empereur, seul, le connétable de Saint-Pol, pris à son double jeu, fait les frais des opérations. Livré par son ancien ami Charles de Bourgogne, il est exécuté en place de Grève le 19 décembre 1475. Jamais Louis XI ne laisse une trahison impunie... Cependant, la chance de nouveau semble sourire à la Maison de Bourgogne ; le 30 novembre 1475, le duc Charles fait son entrée dans Nancy, apparemment soumise, au milieu d'un cortège chamarré de ducs et de fils de roi. Devant les États de Lorraine, il déclare que sa bonne ville de Nancy est désormais sa capitale. Il continue à rêver ; il veut de toutes ses forces fonder ce royaume intermédiaire entre la France et l'Empire et qui se serait étendu des rives de la Mer du Nord au Rhône et, pourquoi pas, jusqu'à la Méditerranée. Seigneur du Rhin, il le serait aussi du grand fleuve rhodanien. Fort du "traité d'amnistie " de l'empereur Frédéric, il semble avoir les mains libres à l'est et au sud. Il continue à cajoler le vieux René d'Anjou, dont il convoite le dernier domaine, ce beau comté de Provence inondé de soleil. Le rêve passe ...

Pour se concilier un nouvel Électeur, le duc de Bourgogne veut intervenir dans les affaires de l'archevêché de Cologne. Robert de Bavière, le prince-archevêque, a été déposé par les chanoines de son chapitre; Charles entreprend une expédition contre les Colonais; c'est, à ses yeux, une chose facile, mais cette intervention marque le début de ses malheurs. Pour avoir les mains libres à l'est, il signe à la fois un traité d'alliance avec le roi d'Angleterre, Édouard IV, et la prolongation de la trêve avec Louis XI jusqu'en mai 1475, puis il vient mettre le siège devant Neuss, où le nouvel archevêque de Cologne s'est réfugié avec une solide garnison.

Le siège de Neuss
Commencé le 31 juillet 1474, ce siège ne devra se terminer que le 26 juin 1475 ! Les premiers assauts des Bourguignons sont repoussés avec des pertes sévères. Louis XI voit avec joie son rival s'enliser dans l'imbroglio allemand ; il signe un traité d'alliance avec le duc René de Lorraine et les Suisses qui, les uns et les autres, se sentent menacés ; il ne ménage ni son or, ni sa peine. Les Suisses viennent trouver le duc Charles dans le camp luxueux qu'il s'est fait aménager et lui portent leur défi ; Charles les regarde d'un air altier et il mord ses lèvres rageusement. A la mi-novembre 1474, les Suisses, qui ont envahi la Franche-Comté, infligent à Héricourt une défaite sévère au comte de Savoie-Romont et au maréchal de Bourgogne; leur formation en "hérisson" de piques fait merveille. L'empereur Frédéric s'est maintenant franchement déclaré contre le duc de Bourgogne; il menace son camp, que la pluie diluvienne noie, tandis que la maladie décime les Bourguignons. Les trêves entre la France et la Bourgogne expirent le ler mai 1475 ; Louis XI assaillit la Picardie, le comté de Nevers, le duc de Lorraine attaque le Luxembourg. Charles le Téméraire qui s'obstine en pure perte au siège de Neuss, envoie à ses officiers ducaux, affolés, le comte de Campobasso, son condottière. Le 27 juin, après s'être résigné à signer une trêve avec l'empereur, le duc lui-même quitte les fossés de Neuss avec une armée grelottante de fièvre, complètement découragée ; jamais les Bourguignons ne devront retrouver leur mordant.

les ducs Valois