Le Retable de la Crucifixion
Les volets peints par Broederlam
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Musée
des Beaux-Arts de Dijon
peintre et doreur : Melchior Broederlam
Ces deux volets peints (entre 1394 et 1399) sont dus à Melchior Broderlam. Ils sont l'un des plus anciens triptyques peints qui soit conservé, ce type de décor se développant dans le deuxième quart du XIVème siècle.
Broederlam est considéré comme l'un des premiers grands primitifs flamands, avant Van Eyck, les frères Limbourg ou Jacquemart de Hesdin. Ces deux volets sont les seules œuvres que l'on connaisse de lui aujourd'hui dans le monde entier. C'est dire leur intérêt.
L'artiste a peint sur chacun des panneaux deux scènes : L'Annonciation et La Visitation sur le premier, La Présentation au Temple et La Fuite en Egypte sur le second, avec une alternance de scènes d'intérieur et d'extérieur. L'architecture, l'élégance des formes renvoient au gothique international tandis que la volonté de rendre d'une façon réaliste le paysage (Broederlam ne se contente pas de montrer au spectateur une surface plane décorative, il révèle aussi un environnement architectural et un paysage qui ont de la profondeur) ou l'attitude de certains personnages, comme Joseph dans La Fuite en Egypte, s'explique par une forte culture flamande. On notera également une utilisation développée d'un langage allégorique depuis l'apparition de statuettes représentant les prophètes dans L'Annonciation jusqu'à l'opposition d'une source et de la chute d'une idole dans La Fuite en Egypte.
Composition du volet de l'Annonciation et de la Visitation :
C'est une composition à plusieurs niveaux qui réunit les environnements divers des deux scènes. Dans ce but, Broederlam a placé l'ange en plein air. L'ensemble architectural devient une partie du paysage car, devant le soubassement de la construction, on aperçoit le sol brun et couvert d'herbe, et les fleurs splendides du jardin clos introduisent la nature entre les murs de pierre.
Les deux parties du tableau sont articulées harmonieusement :
- les plateaux lisses de la montagne s'encastrent dans les corniches de la rotonde.
- des deux côtés, c'est la Vierge, en cape bleue, qui est le personnage statique : à gauche, c'est l'archange Gabriel qui s'approche d'elle ; à droite, c'est Elizabeth.
- les couleurs de Gabriel et d'Elizabeth se complètent.
- les parcours de Gabriel et d'Elizabeth sont soulignés chacun par la structure du bâtiment ou du terrain : par le vestibule placé en biais pour l'ange ; par la ligne en demi-cercle du ravin sur le devant du paysage, du côté de la cousine de Marie.
La composition est unifiée grâce à d'autres moyens très fins (dont la forme compliquée du cadre qui est aussi exploitée avec adresse) :
- le rayon doré qui sort de la bouche de Dieu le Père conduit à la Vierge de l'Annonciation et la ligne en biais du cadre à celle de la Visitation. Si nous allongions vers le haut le rayon divin, il traverserait justement le sommet du cadre .
- une autre diagonale relie l'angle droit du haut et l'angle gauche du bas : c'est la ligne imaginaire qui relie Gabriel, la Vierge et l'ange sur lequel se répètent les couleurs de leurs vêtements.

L'Annonciation :
Un raccourci nous montre que Gabriel vient de se poser : ses ailes sont à la verticale, qu'il déplie dans son habit. Il déplie le phylactère sur lequel est inscrite la salutation angélique : "Je te salue Marie, pleine de grâce". Au premier plan, le lys avec une fleur fermée accentue l'idée de virginité de Marie qui se trouve dans un charmant petit édicule gothique, en train de lire un livre déposé sur un lutrin en forme d'aigle. Depuis la période de l'art ottonien et carolingien, l'aigle symbolise la puissance, la gloire et également la résurrection. On a déjà dans cette annonciation une idée de passion et de résurrection.

L'ensemble architectural n'est pas très structuré, il est symbolique : l'architecture gothique élégante, avec les baies triples qui symbolisent la Trinité (cette architecture représente la nouvelle loi qui apparaîtra à la naissance du Christ) s'oppose à la lourde architecture romano-byzantine en arrière plan qui représente la loi juive (ce bâtiment en rotonde symbolise probablement le temple de Jérusalem. C'est en réalité la reproduction imaginaire d'une des sept merveilles du monde, le mausolée d'Halicarnasse. Ce mausolée va devenir, dans la tradition de la Renaissance, le symbole même du bâtiment de la pureté, du bâtiment divin, du temple, voire de la Nouvelle Jérusalem. On le retrouve dans des tableaux, des sculptures).
Remarquer la perspective encore balbutiante rendu par des carrelages en svatiska.

La représentation de Dieu par Broederlam est très étonnante : il établit un compromis très habile. Dieu est coiffé de la tiare papale ; il est entouré de chérubins et de séraphins. Sa figure paternaliste souffle l'Incarnation qui traverse la baie gothique sans la briser : cette image accentue l'idée de virginité de Marie. Derrière l'ange, on aperçoit un jardinet clos avec des créneaux (Hortus conclusus) : c'est un symbole de la chasteté de la Vierge. On y trouve des fleurs symboliques : l'ortie représente le désordre, le vice et nous montre que Marie est la nouvelle Eve. Elle est tout le contraire du désordre, du vice. Les roses représentent les joies de Marie mais également ses souffrances avec les épines. L'ancolie (petite fleur blanche en forme de calice que l'on trouve souvent au pied des crucifixions italiennes, siennoises) symbolise la passion, la crucifixion ; le calice recueillant ici le sang du Christ.

l'Annonciation
 

La Visitation :
Marie va a la rencontre de sa cousine Elizabeth. La rencontre a lieu dans un site rocheux. De l'eau sourd d'une crevasse au premier plan. Des arbustes et des plantes poussent dans des anfractuosités du sol. Aucun d'eux n'est reconnaissable avec sûreté.Seul un oiseau, peut-être une hirondelle, survole le paysage. Au sommet de la montagne la plus élevé se dresse un château-fort. Au-dessus du château, un petit ange plane, les ailes étendues Il tient à deux mains une banderole vierge. Il se détache sur un fond d'or décoré d'une bordure estampée représentant une frise de motifs végétaux. L'oiseau et l'ange introduisent une certaine modernité : les Flamands étaient déjà à la recherche d'un ciel naturaliste et réaliste que Robert Campin va réaliser aux alentours de 1420. Broederlam considère sans doute alors que le fond d'or peut assumer la signification d'un ciel naturel où non seulement les anges mais aussi les oiseaux peuvent voler. On remarquera une rupture d'échelle maladoite : le premier plan présente un arbre qui ressemble plutôt à un arbuste. Remarquer aussi les couleurs franches, de vitrail.
Il faut également s'arrêter sur la volonté de combler le vide de l'espace : le fond remplit la surface du tableau, suit la ligne irrégulière du cadre et s'étend aussi en profondeur.

Si la scène peinte par Broederlamn correspond bien à l'Evangile, son cadre a été délibérément modifié. La rencontre entre Marie et Elizabeth a en effet lieu dans la maison de Zacharie (il est difficile d'assimiler le château à cette maison). La vigueur du sentiment de la nature (très fort dans les Flandres du XIVème) l'aurait-il emporté sur le texte évangélique ?

la Visitation
 

L'autre volet :
La Présentation au Temple :
Dix jours après sa naissance, comme le veut la tradition, le Christ est présenté au Temple. Quatre personnages entourent l'Enfant Jésus nu qui se tourne interrogativement vers sa mère tout en empoignant de la main droite une mèche de la barbe du vieillard Siméon. Ce personnage a les mains couvertes d'un linge et s'incine respectueusement pour recevoir l'Enfant que lui donne Marie. Cependant, c'est bien Marie qu'il regarde. A droite, une jeune femme porte un cierge allumé et une corbeille d'osier avec deux colombes. De Saint Joseph, on n'aperçoit que la tête coiffée d'un chaperon vert. Il porte la barbe et la moustache.
(
Le texte de Luc relate deux rites de l'Ancien Testament qui ne sont pas associés à la loi mosaïque : d'une part la présentation au prêtre du fils premier-né et son rachat, par le père, pour cinq sicles d'argent, trente jours après sa naissance et d'autre part, la purification de la mère, quarante jours après l'accouchement. Les deux colombes tenues par la jeune fille font partie du dernier rite. Les colombes sont souvent placés dans un panier ou une cage par les artistes du Nord de l'Europe).


Le temple n'a rien d'une architecture orientale. Il s'agit tout simplement d'une église gothique avec ses multiples fenêtres. C'est d'ailleurs par ces fenêtres, dans la pensée gothique, que se fait la liaison entre la nature divine et la nature de l'homme. C'est dans ce sens que le temple, qui est ici représenté, est en fait une église, c'est-à-dire la maison de Dieu. Dans l'axe de la composition, le portique donne accès à une chapelle gothique, qu'éclairent des fenêtres en lancettes.
Un ange survole la tour gauche de l'église. Comme celui de la Visitation, il tient un phylactère vierge. Il est pourvu d'ailes déployées et d'un manteau. Lui aussi se détache sur un fond d'or, dont le décor estampé représente de grandes fleurs, bordées de feuilles en forme de volutes.
Les plantes visibles sur les deux pelouses du premier plan ne sont pas identifiables.

la Présentation au temple

La Fuite en Egypte :
Menacé par Hérode, Joseph emmène le Christ et Marie en Egypte. La Vierge, assise en amazone sur un petit âne vu de profil, tient pressé contre sa joue l'Enfant Jésus étroitement emmailloté. Saint Joseph tire l'âne par son licou et boit à la régalade le contenu d'un tonnelet. Sur l'épaule gauche du saint repose un bâton. Son manteau et une petite marmitte munie d'une louche y pendent. Joseph est en effet le père nourricier de Jésus. Une bourse est glissée sous sa ceinture de cuir. Ses chausses pendent dans ses gamaches. Sa tête est vue en profil. Il a le nez busqué, la barbe taillée en carré et des sourcils broussailleux.
Le thème de la Fuite en Egypte est emprunté à l'Evangile de Matthieu. Le voyage proprement dit est résumé en une seule phrase : "Et Joseph se leva, prit l'Enfant et sa mère de nuit et se retira en Egypte" - Matthieu 2 : 14. C'est dans les Ecritures apocryphes que les artistes vont chercher un complément d'information. La chute des idoles figure dans l'évangile du Pseudo-Matthieu.
Le terme du voyage de la Sainte Famille est la ville égyptienne de Sotine, sur le territoire d'Hermopolis, selon l'évangile du Pseudo-Matthieu. La construction fortifiée inscrite dans le triangle qui surmonte la scène pourrait évoquer cette ville.

Joseph, le père adoptif, le père humain de Jésus. Les Evangiles en parlent peu ou presque pas et ce sont les Evangiles apocryphes qui vont petit à petit construire la légende de Joseph. Ils vont faire de lui un personnage profondément ancré dans le profane alors que son épouse est, elle, profondément ancrée dans le religieux, dans le sacré. C'est pourquoi Joseph est ici représenté sous les traits d'un paysan, d'un homme de la terre.

 
sources :
- la peinture de style gothique international, Anna Eörsi, IAM, Paris, 1984
- le Musée des Beaux-Arts de Dijon, Musées et monuments de France, Ville de Dijon, Albin Michel, Paris, 1992
- le temps de Van Eyck, Réunion des musées nationaux, 1995
- Le Musée des Beaux-Arts de Dijon, Micheline Comblen-Sonkes, Bruxelles, 1986
 
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