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Mai 97 - DIVERS
Histoire de
cassis
C'EST
doux et fort à la fois avec quelque chose de subtil. A la
moitié du verre ballon, on sent une douce chaleur au creux
de l'estomac. A la dernière goutte, on est gagné par
l'euphorie. Et d'un geste naturel on prend le second verre que l'on
vous tend.
Inventée
il y a plus de cent cinquante ans à Dijon, c'est en 1945
que la crème de cassis a acquis ses lettres de noblesse.
Grâce au chanoine Kir et à son apéritif fétiche.
En fait, tout commença vers 1935. Quand la municipalité
socialiste de l'époque eut l'idée de remplacer les
traditionnels mousseux des réceptions officielles par un
vin blanc-cassis. Selon les élus, la belle couleur pourpre
du breuvage affirmait mieux leurs convictions progressistes. Elu
maire dix ans plus tard, le chanoine Kir fit de cet apéritif
l'un des meilleurs ambassadeurs de la ville. Privilège partagé
toutefois avec une certaine moutarde!
C'est
en 1841 qu'un liquoriste dijonnais eut l'idée de fabriquer
une véritable liqueur en faisant macérer dans l'alcool
des baies de cassis. Bien plus élaborée et d'une saveur
beaucoup plus fine que le ratafia de cassis, consommé sous
la forme d'un tord-boyaux rustique, un peu raide pour les gosiers
délicats, la crème de cassis était née.
Les
pieds de cassis poussaient alors dans les jardins familiaux à
côté des groseilliers, dont ils sont cousins germains.
La vogue du cassis grandissant, les maisons de crème se multiplièrent,
encourageant le développement de la culture, à un
tel point que, vers 1870, on comptait près d'un million de
pieds de cassissiers répartis sur 300 hectares.
Vers
la fin du XIXe siècle survient une fameuse catastrophe: le
phylloxéra détruit la presque totalité du vignoble,
entraînant l'arrachage des vignes malades et donnant une impulsion
à la culture du cassis. Pour les vignerons, cela devient
une activité de remplacement ou d'appoint. Les cassissiers,
jusqu'alors plantés dans les vignes entre les ceps, sont
concentrés dans des plantations indépendantes.
On
connaît la suite... Les Dijonnais prirent l'habitude de demander
un Kir dans les bistrots de la cité et dans ceux des environs.
Un jour, les chansonniers parisiens, dont le chanoine alimentait
régulièrement les chroniques par ses nombreuses extravagances,
rapportèrent l'affaire. Comme une traînée de
poudre, la mode se répandit en France et gagna l'étranger.
Le
vin blanc-cassis serait aujourd'hui le deuxième apéritif
le plus consommé par les Français tant au café
qu'à la maison. Bien que l'on retrouve quelques gouttes de
cassis sur le corps sensuel de Marilyn, et que Chanel no 5 tire
son essence du bourgeon de cassis cultivé spécialement
pour les parfumeurs de Grasse, 80% de la production de cassis sert
à la confection d'apéritifs et de cocktails. Pour
mériter l'appellation de Kir, il faut un quart de cassis
et trois quarts de bourgogne aligoté. D'autres vins blancs
secs sont tout de même tolérés. Le 'Cardinal',
qu'on peut appeler 'Communard' selon ses convictions, est composé,
quant à lui, de cassis et de vin rouge.
Le
fruit de cassis s'accommode sous forme de liqueurs et sirops, de
confitures, gelées et confiseries. Il s'apprécie en
desserts, dans certaines sauces et en accompagnement de certains
plats. S'apprécient également les petites vrilles
de l'arbuste, utilisées en condiment, et les feuilles ou
les bourgeons. Ils aromatisent des vinaigres, et entrent dans la
composition de quelques vins.
L'Humanité
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