L'Express
du 26/04/2001
Dijon
La métamorphose de l'apparatchik
par Michel Feltin
François Rebsamen, nouvel édile dijonnais, est un
pur politique. Mais il place le consensus au-dessus de tout
© Jean-Luc Luyssen/MPA pour L'Express
A la
mairie, après son élection.
Cela
devient vite lassant. Interrogez vingt personnes à propos
de François Rebsamen. Invariablement, vous l'entendrez décrire
comme «sympathique», «convivial», «affable»,
«plaisant», «sociable», etc. Evidemment,
les lendemains de victoire réveillent toujours l'inclination
des courtisans à chanter la gloire des nouveaux élus.
Tout de même: de son frère à sa mère,
de ses amis de lycée à ceux de la maturité,
de ses alliés à ses adversaires, il semblerait que
cet homme se soit décidément créé peu
d'ennemis. Ce qui, en politique, n'est pas un mince exploit.
De fait,
François Rebsamen est d'un naturel liant et cultive ce flegme
un peu british qui sied tant aux vainqueurs. «De 0 à
49 ans, je l'ai toujours connu d'humeur égale», témoigne
sa mère. «On n'a jamais réussi à se fâcher
depuis trente-cinq ans. Et, pourtant, je n'ai pas un caractère
facile», renchérit son ami Serge Berkowicz. Et généreux,
avec cela. «Après notre victoire, il a pris soin des
13 candidats de notre liste qui n'ont pas été élus»,
assure son premier adjoint, Alain Millot. On l'a même vu intervenir
pour trouver une situation professionnelle à l'un de ses
adversaires de droite dans l'embarras.
Bio
express
25 juin
1951
Naissance à Dijon
Marié, une fille
Etudes
DESS de sciences économiques, DEA de sciences politiques
Carrière
1978-1981
Cabinet du préfet de la région Bourgogne
1981-1983
Directeur du cabinet de Pierre Joxe, puis d'André Billardon,
présidents du conseil régional de Bourgogne
1984-1986
Chef de cabinet de Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur
1988-1991
Conseiller technique au cabinet de Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur
1989
Elu président du groupe socialiste au conseil municipal de
Dijon, il le sera jusqu'en 2001
Nommé sous-préfet
1992-1993
Directeur adjoint du cabinet de Laurent Fabius, premier secrétaire
du PS
1994
Elu au conseil régional de Bourgogne
1997
Nommé secrétaire national chargé des fédérations
au PS
1998
Elu conseiller général
Mars 2001
Elu maire de Dijon
Distractions
Tennis, football, pêche à la mouche, lecture, cartes
Il faut donc l'admettre: François Rebsamen est «sympa».
Et bon vivant. Jeune, le voilà footeux chevelu et, dit-on,
talentueux. Guitariste dans un groupe de rock, les Sam de Man (une
marque de... porto portugais). Fana de cartes, où il est
réputé - enfin un défaut! - mauvais perdant.
Et doué pour les études, malgré tout. «A
la fac, il paraissait ne pas forcer, mais réussissait les
examens avec facilité», se souvient Hamid Djahanchahi,
un ami d'origine iranienne.
Issu
d'une famille bourgeoise (son grand-père était chirurgien,
son père, disparu voici vingt-cinq ans, cadre commercial)
ayant le coeur à gauche, François Rebsamen s'engage
très tôt en politique. Après 1968, «révolté
par la guerre du Vietnam et l'injustice sociale», il milite
à la Ligue communiste révolutionnaire. Mais, dès
le milieu des années 70, il rejoint le PS. Ce recentrage
se poursuivra au fil du temps. On le verra plus tard choisir Laurent
Fabius, défendre des positions peu laxistes sur la sécurité,
mener à Dijon une campagne municipale modérée
en diable. Parcours typique d'une génération? Certes.
Seule possibilité d'emporter une ville sociologiquement de
droite? Sans doute. Mais cette évolution rejoint chez lui
un tempérament profond. François Rebsamen est un adepte
du consensus, un obsessionnel du rassemblement, un allergique au
conflit.
Jusqu'au
parjure? Telle est la question. Au conseil régional, il a
décidé, après quelques mois de guérilla,
d'enterrer la hache de guerre avec Jean-Pierre Soisson, élu
pourtant avec les voix du Front national. Après son élection,
alors qu'il n'y était nullement obligé, il a offert
à l'opposition trois sièges à la communauté
d'agglomération. Déjà, il se veut rassurant
vis-à-vis de Louis de Broissia, le président RPR du
conseil général, où il va continuer à
siéger: «Je ne veux pas qu'il se sente agressé
et qu'il se réfugie dans sa citadelle, mais simplement lui
faire comprendre qu'il ne doit pas négliger Dijon.»
Sa philosophie
«L'amitié existe en politique»
François Rebsamen
Pour
certains, à gauche, ces compromis à répétition
s'apparentent à de la compromission. «Il est capable
de mettre un mouchoir sur ses convictions pour parvenir aux objectifs
qu'il s'est fixés», estime le chevènementiste
Pierre Pertus. «Il est opportuniste. Il conclut des alliances
en fonction de sa carrière», ajoute Marie-Thérèse
Mutin, ancienne première secrétaire fédérale
du PS de la Côte-d'Or. Serait-il donc prêt à
tout pour le pouvoir? Il s'en défend. «Au niveau national,
j'ai mes convictions. Mais, sur des projets locaux, je crois profondément,
comme Pierre Joxe, que l'on peut se retrouver autour de l'intérêt
général.»
Ses coups
de coeur
Son personnage
historique préféré
Jean Jaurès.
Son livre préféré
Le Canon Fraternité, de Jean-Pierre Chabrol.
Son écrivain préféré
Gabriel Garcia Marquez.
Son musicien préféré
Eric Clapton.
Sa chanson préférée
Black Magic Woman, de Carlos Santana.
Son tableau préféré
L'Origine du monde, de Gustave Courbet.
Son sentiment préféré
L'amour.
Sa qualité préférée
La fidélité.
Son défaut
L'entêtement.
Sa voiture préférée
Une 406 coupé.
Son homme politique de droite préféré
Raymond Barre.
Pierre Joxe. La figure tutélaire de François Rebsamen.
Celui qu'il a côtoyé dès 1974, pendant la campagne
présidentielle de François Mitterrand. Celui qu'il
a rejoint en 1981 au conseil régional de Bourgogne. Celui
qui l'a appelé à deux reprises à son côté
au ministère de l'Intérieur. «Il le cite tout
le temps, s'amuse Anne Munier, sa chef de cabinet. Sa formule favorite,
c'est: "Je me souviens, avec Pierre Joxe..."» De
l'ancien ministre le nouveau maire de Dijon a heureusement oublié
le caractère difficile. Mais il a retenu le souci de l'organisation.
Apprécié le sens de l'Etat. Et appris la realpolitik.
François
Rebsamen a été chargé des fonds secrets du
ministère de l'Intérieur, a suivi les questions électorales,
pris sa part dans la guerre des courants du PS et doit aujourd'hui
pacifier les fédérations du parti et négocier
les investitures avec les alliés turbulents de la gauche
plurielle. Il sait par expérience que la politique fait rarement
bon ménage avec l'utopie. Cela n'exclut pas une certaine
éthique - «Quand sa famille l'a rejoint au ministère,
Pierre Joxe payait leurs repas sur ses deniers personnels»,
se souvient-il. Cela n'empêche pas les convictions: beaucoup
lui reconnaissent une attention sincère aux plus démunis,
un souci réel des minorités et des immigrés.
Mais, de son passé d'apparatchik, il a acquis une froide
vision des rapports de force.
N'importe.
La vie est ainsi faite que l'image de François Rebsamen s'est
aujourd'hui renversée. Passant hier pour terne, homme d'appareil
et loser, le voici désormais rayonnant, grand élu
et étoile montante d'un PS sortant groggy des élections
municipales. Bien sûr, il le sait, cet état de grâce
postélectoral s'évanouira bientôt. Il lui faudra
alors prouver qu'il peut être un bon maire de Dijon. Comme
le dit Pierre Joxe, justement, «le pouvoir révèle
les individus à eux-mêmes». En bien ou en mal.
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