Dijon
- Enseignement
L'université cherche sa différence
Michel
Revol
Défi - En misant sur quelques pôles de spécialisation,
l'université de Dijon entend se positionner. Une gageure
pour une université avant tout généraliste.
Ce
n'est pas une hémorragie, mais au moins un saignement : depuis
cinq ans, le nombre d'étudiants inscrits à l'université
de Bourgogne a fondu de quelque 30 000 à un peu plus de 26
500. Cette décrue n'inquiète pourtant pas Bernard
Laurin, le président de l'université : elle a été
jugulée à la rentrée dernière et cette
baisse démographique frappe, après tout, la grande
majorité des universités françaises.
Il
n'empêche : Bernard Laurin ne se console pas aussi facilement.
« Nous sommes écartelés entre les facs de l'Ile-de-France
et de Lyon. L'université de Bourgogne doit donc rester attractive,
au-delà même de la région. Pour cela, nous devons
affirmer une identité forte pour séduire plus d'étudiants
et d'enseignants-chercheurs », explique le président.
Mais comment se distinguer quand on est une fac généraliste
et qu'on doit le rester ? Il n'est en effet pas question de favoriser
exagérément une filière, scientifique ou littéraire,
dès lors que la fac dijonnaise est la seule de Bourgogne.
Les étudiants doivent donc avoir le choix entre le plus de
cursus possible, sans que l'un se développe au détriment
des autres. Confronté à ce défi, Bernard Laurin
veut opérer un fragile déséquilibre. Sa stratégie
: soutenir particulièrement la recherche dans deux domaines,
l'agroalimentaire et les matériaux, qui sont autant de secteurs
bien implantés à Dijon. « L'université
doit apparaître comme un pôle d'excellence en France
dans ces deux spécialités », affirme Bernard
Laurin.
En matière agroalimentaire, la fac ne part pas de rien. Depuis
des décennies, deux écoles universitaires réputées
existent sur le campus : l'Ecole nationale d'enseignement supérieur
d'agronomie de Dijon (Enesad) et l'Ecole nationale supérieure
de biologie appliquée à la nutrition et à l'alimentation
(Ensbana). De même, l'université dispose d'une large
palette de troisièmes cycles axés sur ce thème,
tels un DESS « contrôle qualité des aliments
» et un DEA « oenologie et ampélologie »
(étude de la vigne). L'idée de Bernard Laurin est
de créer un « campus élargi », c'est-à-dire
de rapprocher ces cursus et de leur adjoindre les chercheurs des
filières intéressées (comme la médecine
pour la sécurité alimentaire) et, surtout, deux autres
établissements : l'Institut universitaire de la vigne et
du vin et le Centre européen des sciences du goût,
qui, assure le président, « repart sur des bases saines
» après les malversations financières qui l'ont
affecté. Pour étoffer le tout, les relations entre
ces filières et les établissements publics de recherche
(CNRS, Inra et Inserm) seront renforcées. « Le CNRS
envisage de créer un centre de recherche mixte avec le Centre
européen des sciences du goût », annonce ainsi
le président. Mais le patronat local voit d'un mauvais oeil
cette association. « En accaparant le Centre, le CNRS dévoie
son but, qui était d'en faire un pôle international
sur la gustation avec des retombées profitant directement
à l'économie de Dijon », dénonce ainsi
Jean Battault, président du Medef Côte-d'Or, qui regrette
le bon temps où Danone et quelques industriels chapeautaient
cet organisme. « L'idée, c'était alors de chercher
à savoir pourquoi la moutarde aide à digérer
ou pour quelle raison le cassis ouvre l'appétit. Que vient
faire la recherche fondamentale du CNRS ? » s'interroge Jean
Battault. Bernard Laurin veut pourtant y croire. « Il y a
volonté de travailler ensemble entre les établissements
», assure-t-il.
Le
projet concernant la filière « matériaux »
se fonde sur un type semblable de collaboration. Là encore,
l'objectif est de promouvoir la recherche, qu'elle porte sur le
ciment ou les fibres optiques, en regroupant les filières
du secteur au sein d'un Institut de caractérisation de la
matière (Ircamat). « Il sera une sorte de fédération
des équipes de recherche du CNRS et de l'université,
avec des chimistes, physiciens ou encore des mathématiciens
», explique Bernard Laurin, qui entend ainsi améliorer
la « force de frappe » qui existe déjà.
«
La spécialisation, c'est l'image de marque d'une université
», reconnaît David Denis, 23 ans. Mais cet étudiant
en DEA d'Histoire, membre de la Fédération des associations
générales étudiantes (Fage), se montre plutôt
prudent : « On ne veut pas d'une université à
deux vitesses, avec une poignée de filières très
attractives, soutenues en moyens humains et financiers et, à
la traîne, les cursus traditionnels comme les lettres, qui
regroupent le plus grand nombre d'étudiants mais manquent
cruellement de place. »
Dans
son subtil exercice de dosage, Bernard Laurin se montre attentif
à ne pas creuser les écarts entre les filières.
L'université va ainsi se doter d'une Maison des sciences
de l'homme, regroupant sous un même toit les équipes
de recherche, du droit à l'économie, dans un bâtiment
qui s'élèvera, d'ici cinq ans, sur le campus. Mais
David Denis, par ailleurs chargé de mission à la vie
culturelle, aimerait surtout que la présidence rééquilibre
la balance en faveur d'une autre mission essentielle de l'université
par trop délaissée : la culture. « Elle manque
de moyens. Quand la recherche sollicite quelques milliers de francs,
elle les trouve tout de suite. Mais quand on en a besoin pour améliorer
la vie culturelle, sportive ou associative, on nous répond
que l'université n'a pas les sous », regrette le jeune
homme. Un défi de plus dans l'escarcelle de Bernard Laurin
?
Sup
de co veut jouer dans la cour des grandes
A la mi-janvier, Le Nouvel Economiste publiait un classement des
écoles supérieures de commerce françaises.
Le
groupe ESC Dijon-Bourgogne pointait à une peu reluisante
30e place. Sur la double page suivante, la même école
s'offrait une large publicité vantant l'ouverture internationale
du groupe. A elles seules, ces pages résument le défi
de l'ESC bourguignonne. L'école entend remonter la pente
en renforçant sa dimension internationale, pour intégrer,
d'ici à 2005, les douze premières ESC françaises.
Outre l'accent mis sur les cours en langues étrangères
et les accords d'échanges internationaux, le directeur général,
Gilles Faure, compte sur l'accroissement des effectifs étudiants
pour imposer son école. « Il faut atteindre une taille
critique pour s'affirmer sur les scènes française
et mondiale », dit-il. Déjà, les promotions
sont passées de 130 à 250 dans le programme ESC, alors
que celles de l'Académie commerce internationale (une école
du groupe) devraient doubler (de 50 à 100 étudiants).
Mais,
à l'heure où certaines écoles de taille comparable
se spécialisent sur un créneau pointu, la stratégie
de l'ESC dijonnaise reste généraliste. L'ESCP-EAP
(Paris) ou Sup de co Rennes se flattent déjà depuis
belle lurette d'être les championnes de l'ouverture internationale.
De plus, le gonflement des effectifs n'est pas un gage de qualité.
Certes, d'autres écoles renommées, telle l'Essec,
procèdent de même. Mais, en offrant plus de places,
Sup de co Dijon prend le risque d'abaisser le niveau général
des élèves intégrant l'école.
Selon
Gilles Faure, le talon d'Achille de l'ESC est surtout sa position
géographique. Isolée en Bourgogne, elle ne bénéficie
pas du prestige d'une grande métropole, à l'instar
d'HEC en région parisienne ou encore de l'EM Lyon. Pas question,
donc, de jouer sur leur terrain. « On ne pourra jamais être
HEC ! » constate sans trop de regrets Gilles Faure. En revanche,
il entend bien jouer sa carte dans le championnat inférieur
en ancrant l'école dans la région : « Aujourd'hui,
on souhaite s'identifier à la Bourgogne, comme c'était
le cas il y a quelques années. Car la région a besoin
de nous comme nous avons besoin d'elle. »
M.
R.
© Le Point
09/02/2001 - N°1482 - Page 39 - 1237 mots
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