Dijon
- Economie
La superbe anémique
Arnaud
Morel
Passage de témoin - L'heure de la relève a sonné.
Après trente années de règne de Robert Poujade,
la morosité l'emporte dans la capitale des ducs de Bourgogne.
Beaucoup y déplorent l'engourdissement de l'activité
économique et culturelle.
La nuit, perchées sur leur façade, les gargouilles
grinçantes de Notre-Dame, exemple flamboyant d'art gothique
bourguignon, contemplent le centre historique, désert, de
Dijon. Les quelques promeneurs écoutent résonner leurs
pas dans les fastueuses ruelles d'une ville qui dort.
La
vie nocturne s'étiole dans les rares bars ouverts, les quelques
boîtes de nuit, l'An-Fer surtout, star européenne du
mouvement techno. Trouver un restaurant la nuit relève d'une
mission impossible dans la capitale d'une Bourgogne mondialement
connue pour sa gastronomie. « Les spectacles démarrent
à 20 h 30 au maximum. Plus tard, on ne peut plus faire manger
l'équipe. Le théâtre a même songé
à acheter un restaurant pour pallier le problème »,
raconte Alain Renault, responsable des relations publiques au Théâtre
de Bourgogne.
L'offre
culturelle est riche, pourtant ; théâtres, cinémas,
expos sont nombreux pour une ville de taille moyenne. Il manque
bien une salle susceptible d'accueillir les concerts populaires,
mais, c'est promis de toute part, elle verra bientôt le jour.
La priorité aujourd'hui reste l'Auditorium, le grand chantier
de Robert Poujade, qui dirige la ville depuis près de trente
ans et termine sa carrière. Un bâtiment massif de 1
600 places ouvert depuis deux ans, une salle exceptionnelle pour
les concerts classiques. Un gouffre aussi pour les finances de la
ville, qui y injecte 52 millions chaque année. L'Auditorium
vise un public ciblé, à fort pouvoir économique.
Il n'est pas le seul. Le Consortium, centre d'art contemporain situé
près des halles, le coeur palpitant de la ville, expose sa
fabuleuse collection... mais à Beaubourg, où plus
de 200 000 personnes sont allées la découvrir. Les
Dijonnais attendront que vienne leur tour. Résultat d'un
élitisme forcené, le centre d'art contemporain est
inconnu des non-initiés. « Demandez où il se
trouve, personne ne pourra vous répondre. Par contre, Le
Roi des pâtes, une épicerie voisine, tout le monde
connaît », ironise Bertrand Schmitt, enseignant de l'université
de Bourgogne. Sur le campus, d'ailleurs, trône l'Atheneum,
centre culturel de l'université. Là aussi, on a pratiqué
les formes artistiques les plus pointues, sans chercher à
fidéliser un large public. L'association qui gérait
le lieu a surtout vécu de subventions. En 1999, c'est le
dépôt de bilan. L'université en reprend alors
la gestion, avec des ambitions nettement plus modestes. A l'identique,
la scène théâtrale nationale, le Théâtre
de Bourgogne, voit arriver en 1994 Dominique Pitoiset à la
direction. La programmation se veut de qualité, mais le théâtre
reste avant tout un lieu de diffusion, sans lien réel avec
le public. Lorsque, en 2000, Pitoiset quitte la direction, son successeur,
Robert Cantarella, change radicalement d'optique. Et il propose
gratuitement des ateliers « école ouverte ».
« J'imaginais recevoir une cinquantaine de personnes, il en
vient plus de 100 », s'étonne le metteur en scène.
Economiquement,
Dijon semble prospère. La pierre, magnifique en Bourgogne,
est le mètre étalon de fortunes bien souvent familiales.
Pour le dynamisme, c'est ailleurs qu'il faut chercher, comme le
souligne une population vieillissante (37 % a plus de 60 ans). Toutefois,
le chômage (8,8 %) a connu une baisse spectaculaire de deux
points l'an passé. La force de Dijon repose sur les services,
qui emploient plus de 70 000 personnes et représentent 80
% des entreprises. Le commerce y est prépondérant.
Pourtant, peu de sociétés d'envergure implantent leur
siège social à Dijon. D'où une prédominance
des PME : 90 % des entreprises comptent moins de 20 salariés.
Plutôt
sinistré, le secteur industriel s'appuie sur quelques usines
comme Essilor, les laboratoires Fournier, Amora - qui pourrait cependant
délocaliser prochainement son siège social -, Tetra
Pak ou Télémécanique. Le développement
industriel n'a pas constitué jusqu'ici une priorité.
Toujours cette vieille crainte, murmure- t-on, de l'afflux d'une
main-d'oeuvre ouvrière, traditionnellement de gauche. Et
quelques faillites et départs ont récemment secoué
l'agglomération : Hoover d'abord, puis Philips Eclairage,
Valda enfin. Première force industrielle, l'agroalimentaire,
soutenu par une recherche de pointe (Inra, Ensbana, Enessad) et
une université forte de 25 000 étudiants, profite
de l'image gastronomique de la Bourgogne.
Reste
que Dijon a perdu la bataille du vin. Beaune s'est imposée
comme capitale viticole. Vigne Expo, salon de la profession, y est
définitivement installé, à l'instar du Bureau
interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB). Beaune, d'ailleurs,
taille aussi des croupières à la préfecture
pour le tourisme. Ses hospices sont le premier site touristique
de Côte-d'Or.Dijon,
elle, peine à retenir ses visiteurs. Il manque l'animation
et un projet touristique global.
L'essor
pourrait venir du frêt ; Dijon est idéalement placée,
tournée vers l'est de l'Europe et, théoriquement,
point de passage obligé sur l'axe Paris-Lyon. Mais, là
aussi, elle manque ses rendez-vous. L'autoroute passe à 42
kilomètres, soit bien trop loin lorsque les entreprises «
comptent en dizaines de mètres pour minimiser leurs coûts
», explique Jean-Philippe Girard, PDG d'Eurogerm. L'étoile
ferroviaire est en retard : la branche sud du TGV n'est pas réalisée
et Lyon, à 200 kilomètres, reste à plus de
deux heures de la capitale des ducs de Bourgogne. Quant à
la branche est, elle n'est pas attendue avant 2007. Enfin, situé
à Longvic, l'aéroport de l'agglomération ne
parvient pas à s'imposer. Il héberge d'abord les compagnies
Régional et Protéus. Un temps, Protéus envisage
d'y installer sa plate-forme technique nationale, son hub dans le
jargon aéronautique. « Mais les partenaires, la CCI
notamment, manifestent peu d'enthousiasme », indique Nathalie
Bouley, alors responsable de communication de l'aéroport.
Le hub sera donc installé à Saint-Etienne mi-1997.
Rachetés par Air France, les avions de Protéus n'assurent
plus que quelques liaisons peu rentables et l'on parle sérieusement
d'implanter l'aéroport à Tavaux, à mi-chemin
de Dijon et de Dole.
Au
final, les difficultés de l'économie locale risquent
de peser lourd dans la prochaine bataille pour les municipales.
La mairie sortante pourra pourtant se prévaloir d'un fait
admis par tous, la qualité de vie dijonnaise. Régulièrement
primée, autant que politiquement exploitée, celle-ci
n'est pas un moindre atout pour la capitale de la Bourgogne. Elle
ne demande finalement qu'à s'ouvrir davantage pour exprimer
tous ses talents cachés
© Le Point
09/02/2001 - N°1482 - Page 39 - 1053 mots
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