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La guerre de la malbouffe


L'Express du 29/03/2001
Bourgogne
Qui l'eût cru?
par Laurent Chabrun


Des négociants vendaient sous de prestigieuses appellations des piquettes de toute provenance

En suivant la départementale qui conduit de Dijon à Beaune, l'automobiliste distrait peut, un instant, croire avoir confondu la carte Michelin avec la carte des vins. Gevrey-Chambertin, Nuits-Saint-Georges... les grands crus succèdent aux grands crus et mènent, sans heurts, jusqu'à l'opulente sous-préfecture tout entière dédiée au culte du bourgogne. Là, entre les revendeurs de tire-bouchons et les invitations - en anglais - à de solides dégustations, les façades et enseignes des négociants exhibent ce qui fait la richesse de la ville: son vin, le sang de sa prospérité.

D'étonnantes piquettes
On peut donc supposer que l'annonce, entre Noël et le jour de l'An, par le quotidien local Le Bien public d'un «scandale autour des vins de Bourgogne» ne fut pas de nature à égayer le réveillon. Et cela d'autant plus que les détails de l'enquête, menée dans la discrétion par la police judiciaire de Dijon, pouvaient ébranler le plus fervent amateur. Les investigations démontraient, en effet, que plusieurs milliers de bouteilles de bourgogne grand cru contenaient, en fait, d'étonnantes piquettes issues de mélanges improbables...

Ainsi la maison de négoce Sedivip est suspectée d'avoir commercialisé, sous appellations et millésimes d'origine, des grands crus «rectifiés» avec des vins du sud de l'Europe. Cette même société aurait livré à un commerçant local, le Manoir de la Bressandière, un stock de meursault coupé à 30% de vin de pays d'oc. Lors de la perquisition, les policiers auraient également établi que ce négociant rachetait des vins destinés aux vinaigreries, et donc impropres à la consommation, avant de les trafiquer puis de les commercialiser...

En poursuivant leurs investigations, les enquêteurs allaient ensuite constater que d'autres entreprises participaient à ce peu ragoûtant trafic. La SA Goichot venait ainsi d'expédier à la société Léglise et Fils un bourgogne sans millésime, étiqueté comme un vosne-romanée 1990, lorsque les policiers ont débarqué dans ses locaux... «Dans cette affaire, nous ne sommes que des prestataires de service», clame pourtant le directeur de la SA Goichot, qui nie avoir été au courant des opérations illicites. Reste qu'une dizaine de personnes ont été mises en examen dans ce dossier.

Des petits «chimistes» poussés par l'appât du gain
«Il ne s'agit là que d'une pratique marginale», souligne la profession, qui se veut rassurante sur la qualité du vin de Bourgogne. Reste que l'appât d'un gain rapide et important pourrait pousser d'autres petits «chimistes» a recourir aux armes du fraudeur: le coupage et l'usurpation d'appellation ou de millésime s'effectuent d'autant plus facilement qu'une bonne partie de cette production pourrait être destinée à l'exportation.

«La tentation est particulièrement forte pour les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie», remarque un observateur attentif du dossier, qui craint, pour la réputation des vins de Bourgogne et l'économie locale, que d'autres scandales n'éclatent au grand jour. Et que l'on découvre alors qu'une pratique qualifiée de marginale l'est peut-être beaucoup moins qu'on veut bien le dire.


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